Vie d’Artiste-professionnel… planning… contraintes…

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dernière mise à jour = 02 novembre 2021

 


 

 Certaines artistes publient, ponctuellement ou régulièrement, leur emploi du temps… pour donner au public un aperçu du quotidien d’un travail souvent méconnu voire déprécié…

Contrairement à d’autres, moi je n’ai pas un blog rémunéré au clic et poster chaque jour des articles ne me rapporte rien. Si aujourd’hui je choisis de parler un peu de ce métier passionnant mais souvent méconnu, que j’ai exercé à plein temps de 2012 à 2021, c’est aussi pour que la jeune génération puisse garder les pieds sur terre et se rendre compte, avant de vouloir se lancer dans un métier d’Art, que cette trajectoire est bien plus compliquée qu’avoir un poste de salarié en entreprise.

Je suis en contact avec beaucoup de collègues-artistes dans tous les coins et recoins du monde et une constatation unanime s’impose : il est très très dur, voire impossible, de vivre exclusivement de son Art.

Je vais donc, riche de ma propre expérience, évoquer ici d’une manière globale, sans détailler une journée en particulier, de quoi est fait le quotidien d’un Artiste-Peintre. Il apparaît très vite qu’il doit être extrêmement polyvalent dans ses compétences et que concrètement son travail est loin de correspondre aux clichés disqualifiants qui circulent trop souvent.

Je fais ici la distinction entre : métiers d’Art qui parfois permettent quand même de disposer d’un statut de salariés (décorateur salarié, professeur d’Art salarié par une collectivité, encadreur salarié et la liste serait longue) et  : Artiste professionnel isolé qui cultive son Art, enseigne éventuellement son savoir-faire et dont les œuvres traduisent justesse, beauté et émotion.

Être Artiste professionnel, indépendamment d’un quelconque résultat financier, sous-entend que l’on soit prêt à beaucoup s’investir, et travailler un minimum de quinze heures par jour est nécessaire en l’absence d’agent ou d’un autre tiers sur lequel on pourrait déléguer la partie administrative…

Tous les Artistes me disent un peu la même chose : concrètement un artiste professionnel ne peint pas « plus » qu’une personne salariée qui peindrait le soir en rentrant de son boulot. Pourquoi ?
Parce qu’on fournit de manière prémâchée le travail au salarié… il n’a pas à courir après… alors que pour un Artiste il y a une quantité astronomique de démarches à faire avant qu’il ait la moindre chance de voir un client s’intéresser à son travail…

Voici donc, succinctement commentées, les tâches essentielles à maîtriser… et certaines d’entr’elles sont assez prenantes au niveau temps :

  • la comptabilité

    • un salarié signe son contrat, commence à travailler et encaisse une somme fixe chaque mois… c’est zéro-souci. Un Artiste-Professionnel a toutes les démarches administratives, juridiques et fiscales à effectuer lui-même pour démarrer son activité car dès le moindre centime encaissé il faut demander un numéro d’ordre à la Maison des Artistes. Ensuite l’Artiste choisit son mode de fonctionnement fiscal… et il tient sa comptabilité à jour car un contrôle peut avoir lieu à tout moment et il faut que tout soit nickel. Pour ma part je gère ma facturation et ma comptabilité sous excel, je n’ai pas besoin de logiciel spécifique.

 

  • le secrétariat

    • Un Artiste doit avoir assez de culture, de tact et de professionnalisme pour éditer des courriers impeccables, agréables à l’oeil et incitant les destinataires à y répondre favorablement au lieu de faire du classement vertical direction corbeille…

 

  • Maîtrise des logiciels spécifiques

    • Un Artiste peut éditer sans aucune compétence une poignée de flyers mais dès qu’un travail de petit ou de grand format va chez l’imprimeur il y a un certain nombre de contraintes techniques à respecter. Il ne s’agit pas juste de pouvoir convertir un fichier de RVB à CMJN, ou de jongler avec les pixels… il faut souvent également avoir les compétences techniques pour rentrer dans les fichiers de l’imprimeur et y déposer directement son travail. Dans la négative il y a lieu de trouver un professionnel et de lui confier cette tâche. A titre indicatif, faire une affiche destinée à être publiée en format A3 (annonce d’expo par ex) nécessite au minimum une journée entière de travail pour obtenir une qualité « pro ». Il faut établir un cahier des charges, collecter les informations, gérer la mise en page etc… et bien sûr maîtriser au minimum Photoshop, mieux encore Indesign, Illustrator, Gimp, Pdf etc…

 

  • Organiser ses formations

    • Pour maîtriser les logiciels indiqués supra, l’Artiste doit se trouver un organisme ou un formateur et il faut compter entre 50 € pour une formation basique et 1.000 € pour une formation technique complète par un organisme tel que le Greta.
      Il est faux de penser qu’un imprimeur acceptera un travail médiocre !!!
    • Pour les expositions collectives, la réalisation de l’affiche avec indication des sponsors est généralement prise en charge et l’Artiste n’a pas à s’en soucier mais ces expositions sont généralement payantes et il faut être prêt à ouvrir son escarcelle. Pour une exposition individuelle, l’Artiste doit tout organiser de A à Z.
    • On les oublie souvent car à l’ère informatique tout le monde touche à tout et pas toujours bien… mais un Artiste qui veut montrer son travail doit aussi maîtriser les outils de communication moderne, faire un choix efficient et assurer régulièrement un suivi… La gestion des comptes-mail en fait également partie…  En ce qui me concerne je sépare les comptes par activité. A titre d’exemple, un pour les demandes de documentation, un pour les contacts avec les galeristes, un autre pour les confrères, etc…

 

  • Encadrement

    • Au quotidien, il y a les activités liés à l’encadrement et il faut discerner l’Artiste qui dispose d’une menuiserie et peut faire ses boiseries lui-même, celui qui coupe lui-même ses passepartouts et met sous cadre-acheté, et celui qui peint sur toile et vernit l’aquarelle. Petit tour d’horizon ici.
    • L’achat des passepartouts ou cadres tout comme le démarchage des encadreurs (avec ou sans le client final) est souvent lié à des déplacements. Avec un véhicule on gagne du temps, sans… la journée y passe.
    • À côté de cela il y a les activités connexes du style découpe-en-série, protection des « cartes », ou plastification de marque-pages. Pour une bonne « rentabilité » il faut tout faire en séries, afin d’optimiser la gestuelle, tout comme le matériel.

 

  • Déplacements professionnels

    • Alors qu’en Entreprise les déplacements sont rémunérées, l’Artiste-indépendant soit RATTRAPER le travail en retard soit en sautant un repas soit en rognant sur son temps de sommeil. Les choses qui doivent être faites ne peuvent attendre sinon c’est le laxisme qui s’installe et pour gérer une micro-entreprise il faut dix fois plus de discipline que pour travailler en tant que salarié. La moindre pause nécessite qu’on se rattrape… d’une manière ou d’une autre. Et je précise que si un Artiste-indépendant tombe malade, personne ne sera là pour faire le travail à sa place.

 

  • Contacts et Communication

    • Les relations humaines sont déjà compliquées en Entreprise mais dans le milieu artistique c’est… à mon avis pire. Sous peine de heurter, il faut savoir sourire là où parfois on aurait envie de hurler. Pour ma part, mon caractère fait que souvent je vais droit au but sans ménager les susceptibilités ce qui ne me vaut pas que des amis… mais c’est un choix de vie. Je suis franche et directe, et j’écarte résolument de ma vie ceux qui ne le sont PAS.
    • Les principaux contacts d’un Artiste sont : les galeristes, les organisateurs événementiels, les collectionneurs, les investisseurs,  les confrères (toutes disciplines confondues) les administrations (tous types), les fournisseurs, les fabricants, les organisateurs de concours, les journalistes, les éditeurs, et toute autre personne pouvant se révéler utile au long d’un parcours souvent difficile voire épineux.
    • La gestion d’un site important tel que celui-ci, l’administration d’une page pro et d’autres formes de communication nécessitent une disponibilité qui grignotent considérablement sur le temps dont l’Artiste disposera pour peindre. Concrètement j’ai passé sur mon site depuis qu’il existe environ trois mille heures de travail entre documentation, rédactions et design… Ceci pour VOTRE confort visuel car mon site n’est pas rémunéré (ni au clic ni aux pubs).

 

  • Marketing

    • Il ne suffit hélas pas de faire un beau tableau pour être assuré de le vendre… il y a toute une série d’actions à entreprendre soi-même ou à déléguer… et il vaut mieux disposer de moyens financiers si on veut se démarquer. Faute de pouvoir investir un peu au niveau marketing (flyers, actions ciblées etc) on aura certes beaucoup de personnes qui diront qu’on fait du bon boulot mais on n’aura pas de client(s)… Pour ma part c’est l’absence de véhicule qui me pénalise lourdement… et qui fait que malgré la qualité de mon travail, les dépenses sont toujours plus importantes que les rentrées…

 

  • Veille documentaire

  • Enseignement

    • Enfin il y a les cours, ceux que l’on prend et ceux que l’on donne (par exemple : histoire de l’Art, perfectionnement technique)… Donner des cours nécessite souvent d’être membre d’une Association ce qui sans véhicule est infaisable ou à peine-réalisable… du coup un Artiste peut ne pas trouver de salle appropriée pour partager son savoir-faire… c’est une réelle difficulté… Alors qu’ailleurs en France les offices du Tourisme prennent en charge le marketing de l’Artiste et les inscriptions à des stages en plein air, dans ma région RIEN… c’est triste.

 

  • Les sorties de repérages

    • Le travail en plein air est généralement connu du grand public car durant la belle saison on voit beaucoup d’Artistes travailler dehors… Moins connue est la nécessité de faire des sorties pour du simple repérage… cela peut s’avérer nécessaire pour trouver un endroit où amener un élève, trouver une architecture pittoresque, faire une étude particulière ou tout simplement se laisser inonder d’impressions visuelles et d’émotions qui tôt ou tard rejailliront sur le papier.
    • Ces sorties sont très « prenantes » en temps et l’Artiste devra forcément compenser par un surcroît de travail à un autre moment de la journée.

 

  • EXPOSER

 

bon… une fois tout cela correctement géré… l’Artiste pourra s’emparer de ses pinceaux et sur base d’un dessin aussi correct que possible, mettre ses émotions sur le papier. Pour les « indépendants » une règle d’Or… ne jamais mélanger privé et professionnel. En clair on ne commence pas un tableau en surveillant ses fourneaux… il faut s’organiser comme si l’on était en entreprise et se réserver des plages horaires fixes… On a souvent du mal à le faire comprendre aux proches ou amis qui lorsqu’ils savent que vous êtes en Atelier, vous pensent disponibles pour une pause café ou une sortie. Hé-bien « nièt »… un imprévu même agréable pour les deux parties signifiera concrètement une surcharge de travail le soir. Enfin, tout comme en Entreprise, un artiste-indépendant gagne à maîtriser la gestion du stress car il faut parfois faire face à des contraintes tant au niveau d’un sujet inhabituel fait sur commande ou d’un laps de temps court qui reste pour réaliser un travail…

Petite parenthèse hivernale : moi je ne travaille qu’à la Lumière du jour donc je me dois d’organiser mon planning en fonction de la meilleure luminosité. C’était le cas pour les Artistes d’antan, mais vu la technicité du monde contemporain, les artistes sont communément devenus moins attentifs à ces questions de luminosité  et de leur impact sur le travail.

En l’an 2021, avec le Covid19, il faut tout revoir au niveau expo…

J’espère de tout coeur que ce modeste article aura pu aider certains à y voir clair et à les guider dans leurs choix de vie. Être artiste sous-entend aussi, souvent, que l’on sache vivre avec trois fois rien… c’étais le cas autrefois et cela reste de mise maintenant.

Faire ce que l’on aime est important mais pour peu que l’on ait une famille, nos choix ont des conséquences à prendre en compte. Heureux ceux (hélas rares aussi) qui aiment leur travail salarié car ils ont nettement moins de préoccupations…

La solution idéale pour un artiste dynamique habitué à gérer rondement ses affaires artistiques serait d’avoir un job-salarié à mi-temps et de gérer son activité-indépendante le reste du temps. Mais là il faut avoir une bonne santé et savoir se plier en quatre